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Périple dans l'Australie secrète : communauté de Yirrkala - Arnhem Land

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Lever au petit matin pour rejoindre Yirrkala à 750 km de Darwin. Durant une heure nous survolons la terre d’Arnhem. La densité de population est très faible ici. Pour un territoire de 97 000 km2 (trois fois la Belgique), juste 16000 habitants.
La nature vue du ciel semble intacte, primordiale, untouched.

La forêt et la mangrove en partie impénétrable est juste ourlée sur les côtes d’un fin liseré de plages jaune sable où affleure par endroit la terre rouge. Oxyde de fer des sédiments primitifs contre poussière de coquillage.

Les bras des rivières offrent des circonvolutions inattendues comme les contorsions d’un serpent géant, grand ancêtre du Temps du Rêve. Ces langues bleues infestées de crocodiles de mer, lèchent la terre et fendillent la canopé.

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L’aéroport de Gove est logé dans un mouchoir de poche et accueille tout de même des avions de taille moyenne en raison de la compagnie minière adjacente. Juste avant l’atterrissage je retrouve des souvenirs de Solvay en voyant d’immenses bassins de décantation tapissés de feuilles plastiques pour limiter les infiltrations...

Surprise, je retrouve à l’aéroport Will (manager du centre d’art) et Luke (curator du Musée de Darwin). Nous saluons Cara (curatrice du musée de Sydney) qui vient de passer au centre. L’attention des musées Australiens m’enchante quand je vois le travail qu’il reste à accomplir ici en Belgique ou ailleurs en Europe.

Finalement je laisserai mon véhicule de location pour me joindre à eux.

Au centre d’art, Joseph Brady nous présente avec Ismael un film documentaire tourné ici dans les années 30 qui reprend ses arrières grands parents. Hier en hélicoptère ils ont retrouvé le lieu exacte d’un tournage de cérémonie. Un miracle vu la végétation. Cette reconnection au territoire est toujours essentielle. Joseph développe un projet média remarquable ici avec de jeunes aborigènes. Les téra octets de vidéos, images, témoignant des premiers contacts mais aussi des événements de la communauté et sont rassemblés ici dans de grands serveurs. Le travail d’identification et les processus de reconnaissance faciale permettent de retisser les liens avec les anciens. C’est franchement prodigieux.
Sur mon GSM j’ai quelques photos d’hommes de Yirrkala apportées par le neveu d’un responsable de l’agence spatiale européenne implantée ici en 1960.
Avec Ismael, en parcourant les archives, nous arrivons à mettre un nom sur chaque visage. Les arbres généalogiques forts complexes reprennent vie.

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À Yirrkala se trouve un musée avec de magnifiques écorces anciennes des années 1980 ou un petit peu avant. Des écorces peintes rituelles de 4m de haut, qui furent dans la nef de l’ancienne eglise sont prodigieuses mais il n’est pas possible de les photographier.

Dans une petite vitrine, quelques trésors avec des tessons de poterie des peuples de Makassan. Ils attestent d’échanges entre les Aborigènes et ces peuples d’Indonésie plusieurs millénaires et certainement plusieurs siècles avant l’arrivée des hollandais en Terre d’Arnhem au 17ème siècle. Ces tessons furent retrouvés en 2002 et 2004 pas loin d’ici. Dans la soirée Will confirme que ces échanges furent importants, d’autant plus que la première grande ville proche vue de Yirrkala se situe plus en Indonésie qu’à Darwin. Il convient de changer ses perceptions.

Au centre d’art à même le sol, posée au dessus d’une barque en Eucalyptus, j’observe le travail remarquable de l’artiste Nyapanyapa Yunupiŋu. Will me la présente.
Nous nous serons la main chaleureusement. C’est émouvant. L’an passé je la voyais au Musée de Darwin devant une immense écorce peinte qui venait de recevoir un prix. Elle était sous les feux de la rampe avec des centaines de personnes autour d’elle et la presse. Aujourd’hui elle est concentrée sur son œuvre. Dans une démarche méditative elle peint avec un fin stylet et de la poussière d’ocre, une écorce dédiée au Seven Sister Dreaming. Elle ne parle pas du tout anglais. Nous échangeons un peu les yeux dans les yeux. Tant de choses passent sans mot et franchissent les barrières des cultures.
Will lui demande en langue Yolngu si je peux la prendre en photo. Elle accepte bien volontiers. Je passe un long moment avec elle. Le temps est comme suspendu. Passé, présent, futur de conjuguent dans son œuvre, par l’entremise d’une circularité millénaire.

Un peu plus loin au sol sont posés plusieurs dessins d’un formidable artiste. Ils m’évoquent les premiers dessins des années 1800. Ici avec une prodigieuse plasticité il souligne les danses rituelles et totémiques. On a l’impression que l’animal s’incarne dans le corps du danseur et que certaines postures évoquent des hiéroglyphes.

Toutes les œuvres sont déjà réservées par un musée. Ailleurs d’autres œuvres sont pour une galerie à New York ou une autre à Melbourne qui prépare un solo show. La notion de rareté est bien présente et reste un challenge pour une galerie. 
Je garde le cap et continue à préparer l’exposition de septembre à Bruxelles en sélectionnant de petits trésors.

À la fin de la journée nous nous retrouvons dans cette maison surélevée face à la mer d’Arafura. La côte en face est vierge, intacte et non touchée par l’homme. Les plages de galets vides en raison des crocodiles géants qui pourraient nous grignoter. Le soleil se couche vers 17h30. Il fait 28 degrés ce soir d’hiver.

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Ne point se fondre dans le chaudron de la mondialisation : les danses Aborigènes cinétiques

Ne point se fondre dans le chaudron de la mondialisation : les danses Aborigènes cinétiques

Les chants Aborigènes s’élèvent dans le désert sous la cadence des sticks de bois, heurtés les uns contre les autres dans un bruit claquant. Les corps s’élancent dans une danse rituelle cadencée, aux mouvements presque métalliques, où les pieds frappent bruyamment le sol. La poussière s’élève sous les pas des officiants dans un nuage invitant les esprits à la fête.

J'entends l'écho pictural des peuples Aborigènes

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Nous ne parlons pas la même langue. L'épaisseur de la terre nous sépare de leur univers. Leurs pistes chantées du Temps du Rêve quadrillent un territoire incarné, signifiant, bouleversé par des cohortes de générations. Toutes, elles ont laissé une trace indélébile dans la mémoire collective d'une communauté. Elle parvient jusqu'à nous comme par miracle, grâce à la main bavarde de ces artistes Aborigènes d'Australie.

Chaque fois que je les rencontre, je suis ému par leurs créations picturales. Bien au delà des signes et des toiles, j'entends l'écho des peuples, la voix grave des ancêtres que nous oublions bien souvent ici, leur lien unique et privilégié avec la nature dure et austère des déserts... Tels des gardiens de la terre, il la célèbre afin que celle-ci porte les enfants de demain pour des millénaires encore à venir...

Je ressens dans ces rencontres une intensité et extrême fragilité à la fois. Combien d'années pourrais-je encore les revoir ? Je mesure le privilège d'avoir posé la main sur une épaule, serré les doigts d'un ancien, été invité dans un lieu sacré en leur compagnie, ou d'avoir discuté aux confins du langage, à travers les frontières des mots qui nous rassemblent ou non.

Leur regard profond porte le cri d'un peuple survivant, mais aussi le message pudique d'hommes et de femmes témoins des origines. C'est joyeux, triste et bouleversant à la fois. Les émotions se confondent dans un océan de perplexité.

Ici à Bruxelles, je tente de leur rendre justice et d'être un peu passeur de ce peuple et de sa mémoire. A travers les expositions qu'ils nous font le privilège de partager avec nous. Ce sont des rencontres uniques, rares, puissantes, et cela mérite le détour si vous avez l'occasion de passer. Prenez le temps de vous laisser apprivoiser par ces chefs d'œuvres des antipodes.

Merci à Mick Wikilyiri (1940) pour cette photo prise par Skye O'Meara à Amata en 2016. Ses peintures évoquent souvent l'histoire emblématique du Temps du Rêve associé à la Fourmi à Miel. En novembre prochain nous exposerons des œuvres magnifiques et considérables de sa communauté de Tjala Arts. Quelques infos ici.

L'écho de leurs œuvres traverse les continents. Leur culture rescapée essaime à travers leurs peintures. Elles enrichissent de plus en plus les collections des musées du monde. Pierre après pierre, un chemin se construit au delà des pistes et connecte notre planète.
Respect aux artistes !