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Interview de Georges Petitjean, conservateur du Musée d'art contemporain Aborigène d'Utrecht, co-commissaire de l'exposition "Living waters" à Monaco

Georges Petitjean, conservateur du Musée d'art contemporain Aborigène d'Utrecht, devant des toiles de Pierre Alechinsky (à gauche) et de Paji Honeychild Yankarr (à droite). © Photo de Thijs Rooimans.

Georges Petitjean, conservateur du Musée d'art contemporain Aborigène d'Utrecht, devant des toiles de Pierre Alechinsky (à gauche) et de Paji Honeychild Yankarr (à droite). © Photo de Thijs Rooimans.

Bertrand : Comme conservateur du Musée d’Art Aborigène d’Utrecht, vous êtes reconnu pour votre programme d’expositions innovantes d’art Aborigène chaque année. Quels ont été pour vous les challenges et l’intérêt de votre commissariat partagé avec Etica Izett sur ce grand projet d'exposition à Monaco ?

Georges : Je suis convaincu que montrer l’art Aborigène dans un contexte plus large en lien avec l’art contemporain, lui donne une même place, une même chance, une même possibilité que tout autre art.

L’art Aborigène peut être perçu par certains comme un art purement ethnographique, éventuellement folklorique, et avec des accents anthropologiques. Cette vision réductrice contribue à l’isoler localement dans une démarche identitaire ancrée sur une île-continent.

A mon sens il est très important de juxtaposer les artistes Aborigènes avec d’autres artistes contemporains : on peut ainsi établir un dialogue, et sortir cet art de son isolation culturelle.
Bien entendu l'art Aborigène est en connexion avec des milliers d’année d’histoires, mais il fait aussi partie de ce monde, ici et maintenant, avec des acteurs qui vivent aujourd’hui.

Dans l’exposition « Living waters », j’ai collaboré dès le début avec Erica Izett, en tant que conseiller. En incluant des œuvres d'artistes non-aborigènes, comme John Wolsely et Ruarrk Lewis, on a ouvert un dialogue fertile entre artistes de différents milieux socioculturels. L’artiste contemporain Imants Tillers a par exemple collaboré avec des artistes Aborigènes comme Michael Nelson Jagamara et a inclus par la suite ses formes identitaires dans son travail.

Ces passerelles entre artistes contemporains, Aborigènes ou non, soulignent que l’art Indigène a la même richesse que tout autre art. Dans l’univers de l’art contemporain, c’est une vraie bataille qui est en train de développer.

En le montrant à Monaco comme un art pas nécessairement catalogué Aborigène, on ouvre ainsi de belles possibilités.

Bertrand : En vous écoutant on perçoit de nombreux enjeux politiques autour de l’art Aborigène ?

Georges : Il existe probablement plus de personnes attachées à rechercher la différence entre des formes d’art, plutôt que là où cela se rejoint.

L’art Aborigène est-il traditionnel ? Non. Les œuvres ne sont pas réalisées sur le corps, ni sur le sol, ni sur des parois rocheuses. L’acrylique n’est pas du tout traditionnel. C’est un medium d’aujourd’hui.

Il existe une inclinaison à leur interdire de faire partie de ce temps-ci. Ils devraient rester traditionnels, ne pas participer à ce qui se passe maintenant. Ou alors dans ce cas ils perdraient leur authenticité. Dans ce raisonnement il y a quelque chose qui ne va pas.

On peut vivre en 2015 et être Aborigène, Inuit, célébrer, garder un lien mais aussi inventer d'autres choses, d'aujourd'hui.

Au nom de quoi, devrait-on interdire aux artistes Aborigènes de faire partie de ce temps-ci et du monde de l'art actuel ?

Bertrand : Dans vos différentes expositions, vous attachez une grande importance à inviter des œuvres provenant à la fois de collections privées et d’institutions importantes en Europe mais également en Australie. Quelles dynamiques souhaitez-vous souligner par ces types de partenariats ?

Georges : En tant que conseiller commissaire, je trouve très important de faire appel à plusieurs collections en Europe, à la fois institutionnelles et privées car cela crée un réseau et permet de connecter différents acteurs.

Cela souligne également qu’il y a des collections importantes d’art Aborigène en Europe et un intérêt grandissant bien au-delà de l’Australie. Pour le grand public c’est assez surprenant d’imaginer que des œuvres importantes peuvent venir aussi bien de collections à Bruxelles, Paris, Utrecht et encore d’ailleurs en Europe.

Avec cette dynamique nous contribuons également à mettre en valeur ces collections et à susciter un intérêt plus marqué pour cet art des antipodes, comme pourquoi pas d’autres vocations de collectionneurs.

Bertrand : Quelques collectionneurs importants prêtent leur collection de façon permanente au Musée d'art contemporain aborigène à Utrecht. Avec votre métier de conservateur, vous êtes également en contact avec de nombreux autres collectionneurs à travers le monde. Quels conseils aimeriez-vous partager avec des personnes démarrant une collection d'art Aborigène ?

Georges : J’aimerais donner le même conseil que celui d’André Breton dans la préface du livre sur l'art aborigène par Karel Kupka, "Un art à l'état brut" (1962) : "Aimer, d’abord. Il sera toujours temps, ensuite, de s’interroger sur ce qu’on aime jusqu’à n’en vouloir plus rien ignorer."... D'abord aimé, laisser parler son cœur, puis ensuite savoir.

Je dirais qu’une fois que l'on aime et que l'on veut collectionner, ils se peut que l'on achète sa première œuvre sans être informé de tout le marché. C’est assez normal. En revanche à partir de la deuxième ou troisième œuvre il convient de s'informer : faire des recherches sur internet, essayer d'aller voir les œuvres, d'avoir un contact direct, d’aller visiter ces lieux où ces œuvres d’art Aborigène se trouvent : musées, galeries en Europe.

Je vous inviterais à bien regarder les provenances, et à faire très attention. Certaines provenances ne sont pas acceptées par les grandes maisons de ventes aux enchères, comme Sotheby's. Il convient de se rendre compte que l'on entre dans un marché de l'art avec ses subtilités. Cela a beaucoup d'implication dans les étapes du marché, des galeries, aux maisons de ventes aux enchères pour le marché secondaire, sans oublier les aspects financiers.

Il est aussi passionnant d’en savoir plus sur les origines du mouvement, les différentes écoles dans le désert et ailleurs en Australie, l’émergence des artistes urbains… et d’allier progressivement l’acquisition d’œuvres avec la connaissance d’un mouvement d’art qui évoque quelque chose que l'occident a oublié : la connexion intime entre l'humain et la terre.

Interview d'Erica Izett, co-commissaire de l'exposition "Eaux vivantes" à Monaco

Erica Izett, préparant les écorces peintes en pigments naturels, pour l'exposition au Musée Océanographique de Monaco. © With the courtesy of Erica Izett.

Erica Izett, préparant les écorces peintes en pigments naturels, pour l'exposition au Musée Océanographique de Monaco. © With the courtesy of Erica Izett.

Bertrand : The exhibition you curated in Monaco embraces a large spectrum of Aboriginal art from classical bark paintings to modern sculptures and also photography. What is the redline and messages you would like to stress within the exhibition?

Erica : We aimed to compare Indigenous and Western knowledge systems of the ecologies of water, and to demonstrate various convergences and conversations between them in contemporary art practices. Art was an ideal means of achieving this, because of its powers of communication and affect and also because it is the main repository of Indigenous art and a principal investigatory practice of early Western science.

The Prince Albert Hall in the Oceanographic Museum at Monaco was an ideal site for this exhibition as its collections of Prince Albert’s expeditions document –in the form of drawings and collection practices that appeal to contemporary artists – the objectifying methodologies of the most advanced Western marine science at the turn of the twentieth century. Indigenous science has a different set of categories that, in emphasising relatedness and holistic systems, enhance the importance of place, identity, sustainability and reciprocity.

Vue de l'exposition d'art Aborigène "Eaux Vivantes" à Monaco. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Vue de l'exposition d'art Aborigène "Eaux Vivantes" à Monaco. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Bertrand : You have traveled with the Aboriginal artists, as one producing a work just before the exhibition. What was the challenge and the idea of this performance?

Erica : For Barayuwa Munungurr’s totemic designs that covered the permanent life-size model of a sperm whale in the Prince Albert Hall, the first challenge was gaining permission for this artistic intervention especially given the size of the whale and the logistics, costs and health and safety issues of implementation the art work, as well as overcoming the museum’s reluctance to interfere with one of its feature exhibit.

Because the whale dominated the hall, the installation became the main feature of the exhibition. The museum Director agreed that it was a dramatic way for the museum to engage with contemporary art and the theme of this exhibition (which was dialogues between Western and Indigenous knowledge systems about the oceans).

The idea of the installation was to combine Indigenous and Western systems of representation by incorporating Yolngu totemic designs that signify the ancestral spirit of the whale, with the exacting representations of Western empiricism that, for Barayuwa, reference the physical whale. In simultaneously showing the sacred ‘inside’ and secular ‘outside’ nature of the whale in the one artwork, Barayuwa reminds us of the limits of Western science and that there is more to the world than its physical appearances.

Vue de l'exposition d'art Aborigène "Eaux Vivantes" à Monaco. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Vue de l'exposition d'art Aborigène "Eaux Vivantes" à Monaco. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Bertrand : You and your husband are advising collectors of Aboriginal art in their process of acquisition. What would be the best advice you would like to share with collectors in Europe?

Erica : While collectors seek advice from various sources they will always follow their own inclinations. Most collectors are deeply interested in what they collect and so are already very knowledgeable.

Most European collectors have mainly been interested in Aboriginal art from a primitivism and conventional ethnographic perspective. By contrast our collectors were from the beginning interested in its contemporary art context, which is why we have worked with them. We have sought to enhance their approach by widening the scope of their collection by bringing it into dialogue with art outside their main interest, which initially was, and still largely is, Western Desert painting.

We have encouraged their burgeoning interest in urban artists, new media artwork, and also towards collaborative works between Indigenous and Western contemporary artists.

Interview des collectionneurs d'art Aborigène : Francis Missana et Marc Sordello

Au milieu, la co-commissaire d'exposition Erica Izett, entourée à gauche par les collectionneurs d'art Aborigène Francis Missana et Marc Sordello. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Au milieu, la co-commissaire d'exposition Erica Izett, entourée à gauche par les collectionneurs d'art Aborigène Francis Missana et Marc Sordello. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Bertrand : En tant qu'européen, depuis plusieurs années vous collectionnez ensemble l'art Aborigène d'Australie et vous exposez avec succès votre collection dans de nombreux musées en Europe. Pourriez-vous nous dire en quoi l'exposition à Monaco se détache de toutes les précédentes ?

M.S. et F.M. : L’exposition « Eaux Vivantes » est à la fois très différente mais s’inscrit aussi dans la lignée des précédentes (MAMAC – IVAM – MURAM – MUPAM – Musée d’Aquitaine – Museo Bilotti de la Villa Borghèse), par le fait du lieu et celui des nouveaux artistes invités.

La vocation de la collection Sordello Missana, au-delà d’être montrée et partagée, est de promouvoir l’art Indigène australien dans des espaces dédiés à l’art contemporains et d’imaginer un thème d’exposition se rapportant à l’essence de l’espace.

Le musée Océanographique de Monaco, dédié à la mer et à l’océan, nous a offert une nouvelle thématique originale, celle de l’eau. Cette dernière a permis à notre commissaire d’exposition le Dr Erica Izett, assistée du professeur Ian McLean, du Dr Georges Petitjean et de Donna Carstens, de développer un projet passionnant et d’obtenir les participations du ANMM de Sydney, de la collection Kerry Stokes de Perth, du AAM d’Utrecht, de la collection suisse Kunga de madame Bérengère Primat ainsi que de votre généreux concours cher Bertrand Estrangin.
SAS Albert II nous a également fait l’honneur de nous prêter trois œuvres de sa collection personnelle.

Par ailleurs la nouveauté provient également des artistes invités pour la première fois et qui se sont déplacés d’Australie pour l’installation de leurs œuvres, en particulier Imants Tillers, Ruark Lewis, Barayuwa Mununggurr et Whaiora Tukaki.

Vue de l'exposition "Eaux Vivantes" avec la collection Sordello-Missana. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Vue de l'exposition "Eaux Vivantes" avec la collection Sordello-Missana. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Bertrand : Quels angles nouveaux avez-vous donné à votre collection d'art Aborigène, perceptible dans l'expo ?

M.S. et F.M. : Depuis quelques années, aussi avec les conseils experts de nos amis Erica Izett et Ian McLean, Francis et moi-même, initialement collectionneurs de l’art Aborigène du désert, avons réorienté la collection et ses nouvelles acquisitions vers l’art Aborigène dit « urbain » (Urban Art), qui produit des œuvres sublimes avec d’autres médiums que celui de l’acrylique sur toile utilisée par les artistes des communautés reculées, des mediums tels que la photographie, le film etc …

Nous avons la grande fierté d’avoir désormais dans la collection des œuvres de Tracey Moffatt, Christian Thompson, Judy Watson, Michael Cook, Darren Siwes, Reko Rennie etc. Cependant nous sommes toujours, évidemment, des passionnés de l’art Indigène contemporain dit traditionnel puisque nous avons également acquis récemment une peinture sur écorce de Barayuwa Munungguurr ainsi qu’une peinture sur toile de Ned Grant et une autre de Ngupulya Punmani, œuvres d’ailleurs visibles à l’exposition de Musée Océanographique.

Vue de l'exposition "Eaux Vivantes" avec la collection Sordello-Missana. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Vue de l'exposition "Eaux Vivantes" avec la collection Sordello-Missana. © Photo with the courtesy of Jacques Tomasini.

Bertrand : Quel a été pour vous le moment le plus marquant dans l'expo ?

M.S. et F.M. : Sans doute cette nouvelle rencontre avec Son Altesse Sérénissime et la joie qui émanait de son visage lorsque Francis et moi-même lui avons offert une œuvre superbe de Nyarrapayi Giles de Ngaanyatjarra Lands en Western Australia.

Bertrand : Quel est le moment magique que vous avez vécu avec un artiste ?

M.S. et F.M. : Magique est tout à fait le mot pour évoquer l’échange et les explications de l’artiste Ruark Lewis sous ses bannière « Abris d’Etoiles » dont se dégage une extrême poétique presque mystique. Je dois aussi ajouter que je fus également très touché lorsque Barayuwa Mununggurr, qui collabore d’ailleurs beaucoup avec Ruark, exécuta un concert improvisé de Didgeridoo dans la Salle Albert 1er – surréaliste!