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Périple dans l'Australie secrète III : aux frontières du Great Gibson Desert

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Ce matin, après le petit déjeuner autour du feu, la journée n’a pas vraiment bien commencé.

Durant la nuit, un pneu s’est totalement dégonflé. Il est définitivement crevé et pas facilement réparable. Visiblement une pierre a déchiré la structure. Au milieu de nulle part, ce n’est pas une bonne nouvelle.

Je prends la pelle pour retirer les plantes piquantes sous le 4x4 avant de m’y glisser. Incroyable ce que nature est astucieuse pour piquer et s’agripper dans ces régions arides. Il convient de creuser afin de poser une planche en bois sous le cric. L’opération pour soulever ce 4x4 de plusieurs tonnes n’est jamais simple. Après 10 cm d’élévation, il retombe justement sur lui-même. Je recommence... Sous la planche quelques cailloux permettent de la stabiliser. Je creuse également la terre afin de faire de la place pour une des roues de rechange. Heureusement il y en a deux. Qu’elles sont lourdes... Après 1h30 d’efforts je suis enfin prêt à partir et couvert de terre et de poussière rouge.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Dans la communauté de Mantamaru (Jamieson) il y a une messe en plein air. J’observe de loin les femmes chanter de belles mélodies en Pitjantjara. Un homme avenant m’accompagne à la maison du responsable de l’unique magasin du lieu et de la seule pompe à essence enfermée dans une caisse en métal. On est dimanche et je lui demande s’il veut bien ouvrir pour moi afin de faire le plein. Cela me coûtera 20 dollars en plus mais sans carburant je serai bloqué ici.

Il est un peu étonné de me trouver dans ce coin et encore plus quand je lui dis que je remonte vers Newman plus à l’ouest.

La route est magnifique et serpente entre les dunes de sable et les collines de pierre pulvérisées. Venant du ventre de la terre, crachées par d’anciens volcans il y a des millions d’années, elles sont chargées en minéraux et sonnent comme du métal. C’est étrange.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Ici on fait avec les moyens du bord. Sur la route les bornes kilométriques sont d’anciens pots d’échappement élégamment peints avec juste un W pour Warburton et la distance en kilomètres qui reste à parcourir.

Au bord de la route, un 4x4 avec un couple de retraités est à l’arrêt. Je leur demande si tout va bien. Il me propose de prendre un thé ce qui est assez inattendu. Nos deux 4x4 sont de chaque côté de la piste. Nous prenons le thé debout, accoudés à leur véhicule pendant que quelques voitures ralentissent et passent au milieu en nous saluant de toutes leurs mains. Elles sont bien nombreuses avec 8 à 9 personnes qui prennent place doublant ainsi les capacités des constructeurs et sans ceinture...

Pendant une heure nous discutons géographie, sociologie et politique. Ils sont charmants et traversent l’Australie d’Est en Ouest. Je les invite à Bruxelles s’ils passent en Europe.

Un peu plus loin, une famille Aborigène me fait des signes au bord de la route. Ils ont besoin d’aide. Deux de leurs pneus sont creuvés. Ils souhaitent les regonfler. Je ne suis pas certain du résultat mais sors tout de même le compresseur à air que je branche sur la batterie. On occupe toute la route. Opération terminée. Ils s’engouffrent à au moins 10 dans la voiture et s’empressent pour arriver avant que les pneus ne soient à plat à nouveau. Ce n’est pas gagné et cela m’évoque les vidéos assez amusantes sur le « bush mécanique ».

Les nuages couvrent progressivement le ciel. Les contrastes de couleur sont assez magiques. J’espère qu’il ne pleuvra pas. Sur ces routes de terre rouge, cela peut compromettre la circulation pendant plusieurs jours...

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Au détour de la piste je vois les restes d’un chameau. Cette structure osseuse assez remarquable, probablement dévorée ici par quelques dingos sauvages, ne cesse de m’étonner. Sur une terre étrangère aux chameaux avant leur importation en Australie, la merveilleuse ADN a su utiliser les plantes endémiques du coin pour élaborer ces formes pourtant extra territoriale.

Plus loin un autre chameau heurté par un véhicule n’en finit pas de se décomposer. Je ferme les fenêtres. L’odeur est épouvantable.

À côté de la route se trouve une ancienne cattle outstation. Des poteaux rouillés et fils de fer barbelé soulignent notre propension presque insatiable à borner, délimiter, posséder le territoire. Ces notions matérielles sont tellement différentes chez les Aborigènes. Là où nous voyons une propriété privée, eux voient un espace communautaire réservé, partagé, et transmis de générations en générations en respectant l’intégrité de la nature. Là où nous transformons sans fin, eux préservent et célèbrent...

En fin de journée je vois les restes d’une maison en dur. Elle fut construite par un prospecteur minier à la recherche de pierres riches en cuivre. Un tout petit filon juste à côté.

Avec les moyens du bord il a formé des briques crues avec la terre rouge comme on le faisait en Mésopotamie il y a 6000 ans. Sans toit la maison en ruine fond au rythme des pluies comme la défunte tour de Babel que je voyais en 1997 à Babylone en Irak.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Périple dans les déserts Australiens. Eté 2018. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery.

Finalement je n’atteindrai pas ma destination souhaitée pour aujourd’hui. Qu’importe. L’idée de tout planifier devient de plus en plus étrangère. Je m’arrête un peu avant que le soleil ne tombe là où un lieu semble propice et accueillant.

Nouveau bivouac proche de Warburton. Le bois est encore plus rare qu’hier. Certaines souches décharnées sont tellement esthétiques que j’hésite à les arracher du sol. Je progresse doucement vers l’ouest. Demain je rentre dans le Gibson désert.

Je monte sur le 4x4 à nouveau pour trouver du réseau. Cela ne passe pas facilement. Je tente à nouveau.

La main libérée de l’artiste Aborigène au crépuscule

La main libérée de l’artiste Aborigène au crépuscule

Je me souviens de cette main fragile, toute ridée, presque décharnée, qui dansait sur la peinture. Il lui manquait quelques phalanges, suite à la difficile vie dans les déserts australiens. Sur la toile, elle déposait des points avec virtuosité et concentration, juste munie d’une fine baguette de bois pointue. Cette main tremblait par moment, sans chercher la perfection, mais juste dans l’émotion du partage d’une histoire inscrite en elle. Si souvent cette main avait caressé les lieux représentés sur la peinture, comme cette roche rouge pulvérisée par des millions d’années d’érosion, dans une intimité toute particulière avec le Temps du Rêve Aborigène. Ici la plissure dans la roche évoquait le cheminement des 7 sœurs à travers le territoire, grands ancêtres entre ciel et terre, entre l’accomplissement de la Loi et la Création des constellations comme Orion et les Pléiades.

Périple dans l'Australie secrète II : Aux portes du désert du APY land

Les artistes Witjiti Georges, Taylor Cooper et Gillian la manager du centre d’art de Katjiti. Photo des œuvres actuellement exposées à la galerie. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery en Juillet 2018

Les artistes Witjiti Georges, Taylor Cooper et Gillian la manager du centre d’art de Katjiti. Photo des œuvres actuellement exposées à la galerie. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery en Juillet 2018

Quelles rencontres aujourd’hui ! Après quelques 650 km de route asphaltée, puis de terre rouge en tôle ondulée, me voilà dans le APY Land.
À l’arrivée au centre d’art d’Iwantja, je vois deux voitures de police à l’entrée. Le Premier ministre de South Australia visite la communauté. Les artistes sont presque tous là. Quel plaisir de les rencontrer à nouveau. La presse, les photographes sont aussi de la partie et les flashes palpitent autour d’eux et des œuvres en préparation. Sa visite est immortalisée sur la pellicule, avec le grand artiste Alec Baker.

J’échange quelques mots forts sympathiques avec le Premier, The Hon Steven Marshall MP, qui porte un vif intérêt à ce mouvement artistique au sein du APY Land.

Il rencontré Emmanuel Macron il y a quelques semaines, la France ayant signé un gros contrat de vente de sous-marins avec l’Australie.
Il souligne que les liens y compris culturels sont forts entre les deux pays, avec par exemple plus de 140 œuvres du Musée d’Orsay actuellement exposées à Adelaide comme des œuvres de Monet... nous échangeons même quelques mots en français.

Les journalistes présents m’interviewent également pour avoir le point de vue d’un galeriste européen, sur ces artistes célébrés en Australie et à travers le monde.

Au centre d’art j’échange avec l’artiste Betty Muffler qui sera bientôt exposée à Bruxelles en novembre prochain. Devant une peinture de 3 m, elle m’explique la signification d’une de ses œuvres liée au Rêve des 7 sœurs.

Beth et Heath, les deux managers, tiennent la barre du beau navire Iwantja avec la présidente et le board des directeurs Aborigènes. Cette structure communautaire accomplit ici encore des merveilles. Leurs habits reflètent l’éclat des pigments et l’intensité créative propre à ce lieu. Nous avons en fin de journée le temps d’un bel échange sur des projets futurs en commun.

En fin de journée à Mimili Maku (accommodation), je retrouve un bébé kangaroo à qui je donnais le biberon il y à un an. Il continue de téter goulûment celui que je lui offre ce soir. Quel contraste. Dans la poche de leur mère ils tètent pendant deux ans.

Le galeriste Bertrand Estrangin retrouve un bébé vue un an auparavant et lui donne à nouveau le biberon.

Le galeriste Bertrand Estrangin retrouve un bébé vue un an auparavant et lui donne à nouveau le biberon.

Le lendemain, quelle joie de retrouver Fregon. En 2014 j’avais croisé Gillian qui est maintenant la manager du centre d’art, après Bev qui a passé ici 28 ans. Un job intense.

Je revois avec plaisir les grands artistes Taylor Cooper et Witjiti George. Il a les yeux qui pétillent, et avec plein d’humour, il est enchanté de présenter ses œuvres sur l’histoire fondatrice de la Création avec les deux serpents Wanampi. Que de merveilles ici encore.

Je revois le Premier ministre de SA qui passe en fin de journée. Nous discutons autour de ma sélection réalisée avec les artistes et Gillian, pour la future exposition à Bruxelles. Il a un bon œil et collectionne également quelques œuvres.

Ce matin avant de quitter Mimili, je suis monté sur une colline où il est autorisé d’aller. La vue sur la « vallée » de Mimili est magnifique.

En descendant sur cette pierre rouge sang, pulvérisée, carbonisée par les millions d’années d’érosion, j’ai retrouvé la coccinelle des films de mon enfance. Elle a pris quelques rides. Et les écailles de sa peintures offrent de magnifiques compositions abstraites.

Vue du APY land.

Vue du APY land.

Ce soir je dors dans l’ancienne maison du studio manager du centre d’art. À l’entrée je retrouve un papillon de nuit absolument géant. Tout est disproportionné et grandiose ici.

Les kilomètres filent et plus l’on rentre dans le territoire, plus tout gagne en intensité.
Au centre d’art, on devine toutes les mains talentueuses derrière ces pinceaux au repos. Vivement demain que la chorégraphie reprenne sur les toiles.