Exposition d’art Aborigène “Born in 1930s - Entre deux souffles” L’art de ceux qui ont vu le monde basculer en Australie

A la galerie Aboriginal Signature Estrangin : 101 rue Jules Besme, 1081 Bruxelles.

Vernissage sur RDV le mardi 10 juin 2025 de 14h30 à 21h30.
A 20h - discours du directeur de la galerie et drink.
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Ensuite la galerie vous reçoit sur RDV jusqu’au samedi 12 juillet 2025, du mardi au samedi, de 11h à 19h : vous pouvez réserver votre visite dés à présent dans notre agenda ici.

L’art de ceux qui ont vu le monde basculer

Nés entre 1925 et 1940, ils ont vu l’Australie ancestrale avant les routes, les clôtures, les écoles des missions.
Ils ont grandi dans le bush, marchant de campement en campement, suivant les songlines et les points d’eau sacrés.
Aujourd’hui, à travers leur art, ils nous parlent d’un monde encore vivant — fait de sable, de silence, de chants et de présence.

Leurs peintures redonnent souffle et espace à ces terres habitées.

Dans le Great Sandy Desert et le long de la Canning Stock Route (Jakayu Biljabu, Mary Meribida, Spider Kalbybidi, Margaret Baragurra, Tjigila Rawlins, Ngarralja Tommy May), ces artistes ont grandi dans un environnement semi-nomade, suivant les points d’eau sacrés et les lignes du rêve (Songlines), avant d’être confrontés dans les années 1950 à la sédentarisation dans les missions, ou à l’arrivée des routes construites pour la transhumance du bétail.

Dans les Kimberley, au nord-ouest (Rammey Ramsey, Peggy Patrick), d’autres ont vécu le quotidien des stations d’élevage, parfois marqués par les violences de la colonisation, comme la mémoire des massacres ou la lutte pour les droits fonciers. Malgré cela, ils ont préservé une profonde connexion à leur Country, faite de paysages escarpés, de lieux de pêche, de mémoire rituelle et de luttes partagées.

Dans le Centre australien, notamment sur les terres Pitjantjatjara et Yankunytjatjara (Tjariya Stanley, Taylor Cooper, Paniny Mick, Imatjala Curley, Witjiti George, Wawiriya Burton, Angkuna Baker), les artistes ont grandi entre communautés traditionnelles, missions comme Ernabella ou Fregon, et premiers centres artistiques des années 1970. Ils ont été au cœur du renouveau culturel aborigène porté par les femmes et les ngangkari (guérisseuses traditionnelles), en lien avec les grandes figures du Tjukurpa : les Sept Sœurs, le Serpent arc-en-ciel ou les Deux Hommes.

Dans les Terres d’Arnhem (Nord-Est), l’artiste Nongirrŋa Marawili est issue du clan Madarrpa. Son art, à la croisée de l’eau et du feu, évoque les pouvoirs du crocodile ancestral Bäru dans les estuaires du Golfe de Carpentarie. Née au bord de la mer, elle mêle l’héritage du miny’tji sacré aux échos de l’histoire maritime, dans un style puissamment épuré.

Enfin, au sud-ouest, dans les Spinifex Lands (région de Maralinga et Warburton), Lawrence Pennington et Simon Hogan racontent par la peinture les récits du Wati Kutjara (Deux Hommes), qu’ils ont appris en marchant dans les pas des Ancêtres, avant d’être déplacés suite aux essais nucléaires britanniques dans les années 1950.

Chacun de ces artistes incarne à sa manière un pont entre deux mondes, entre deux souffles : celui des savoirs millénaires, transmis à voix nue autour du feu, et celui d’un XXe siècle qui les a vus traverser les politiques d’assimilation, la disparition de langues, les déplacements, mais aussi les renaissances culturelles et artistiques portées par les communautés elles-mêmes.

© Photo Bertrand Estrangin - Juin 2014 - Aux frontières du Grand Désert du Victoria - South Australia.

Par l’art, ils ont tracé des chemins de retour vers leurs territoires. À travers formes, pigments et symboles, ils nous offrent une autre carte du continent. Une carte où chaque lieu est mémoire, chaque couleur est récit.

Leurs œuvres chantent les lieux sacrés, les traces des ancêtres, les points d’eau, les deuils, les résistances. Elles portent une valeur patrimoniale, esthétique et politique exceptionnelle. Elles font le lien entre un temps cosmologique régi par les lois ancestrales, et une modernité postcoloniale marquée par la dépossession, la lutte pour la reconnaissance (Native Title) et la souveraineté culturelle.

Œuvre de l’artiste Taylor Cooper. Titre : Malara Tjurkurpa. Acrylique sur toile. Format : 200 x 122 cm. Ref : KAL TCO 8230P © Photo Aboriginal Signature with the courtesy of Kaltjiti Arts.

Ces œuvres ne sont pas seulement des objets plastiques : elles sont des vecteurs de narration, d’éducation, de diplomatie culturelle. Elles traduisent des cosmologies actives, incarnées, et structurées par la relation au pays, au collectif, et aux esprits.

Howard Morphy (1998) analyse ce basculement dans son ouvrage Aboriginal Art, en montrant comment l’art est utilisé pour articuler mémoire culturelle et engagement dans le monde contemporain.

Ian McLean (2011) souligne que ce déplacement de perspective est au cœur de ce qu’il appelle une « invention aborigène de l’art contemporain », où les artistes définissent eux-mêmes les critères de leur modernité.

Fred Myers (2002), dans Painting Culture, documente précisément cette transformation du statut des artistes Pintupi, passés du statut de « témoins d’un monde » à celui de créateurs d’un art global.

C’est ce que montre également la collection Everywhen (Harvard Art Museums, 2016, commissariat de Stephen Gilchrist), où l’art aborigène est présenté comme une temporalité propre, non linéaire, qui dialogue avec la contemporanéité mondiale.

Peinture de l’artiste Witjiti George. Piltati: Wanampi Tjukurpa. Acrylique sur toile. Format : 198 x 153 cm. Ref : 18-226 © Photo Aboriginal Signature with the courtesy of the artists and Kaltjiti Arts.

Exposés à la Art Gallery of New South Wales, à la National Gallery of Victoria, au Kluge-Ruhe Aboriginal Art Collection (USA), à la Fondation Opale, à la Tate Modern, au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, ils sont aujourd’hui présentés à Bruxelles, dans l’intimité de la galerie Aboriginal Signature – Estrangin.

Loin de tout exotisme, leur art est pleinement contemporain. Par sa densité conceptuelle, sa force formelle et sa portée politique, il déplace les frontières de l’histoire de l’art. Ses cercles, ses lignes, ses géométries vibrantes ne sont pas des motifs décoratifs, mais des chants, des itinéraires, des mémoires.

Ces artistes nés dans les années 1930 n’ont pas seulement transmis un héritage : ils ont ouvert une brèche dans notre regard sur la modernité. Ils nous rappellent que l’art contemporain peut aussi être un art ancien qui continue — un souffle venu de loin, et qui parle encore.

Peinture de l’artiste Phyllis Thomas. Titre : MINI PALM. Pigments naturels sur toile. Format : 120 x 90 cm. Ref : WAC36/14 © Photo Aboriginal Signature Estrangin Gallery with the courtesy of Warmun Arts.

À la galerie Aboriginal Signature Estrangin, nous attachons une grande importance à l’approche communautaire solidaire dans nos expositions. En réunissant à chaque fois plusieurs artistes d’une même communauté, nous souhaitons souligner la force de la transmission entre générations, des artistes seniors aux plus jeunes, dans une dynamique de partage du savoir millénaire australien.

Ici dans la capitale de l’Europe, nous vous convions pour célébrer la puissance de ces artistes qui perpétuent une tradition ancestrale tout en la réinventant pour le monde moderne. Les œuvres sélectionnées vibrent d'une énergie connectée, reflétant la beauté préservée de leur territoire, et la résilience de ces peuples premiers, gardiens de la terre.

Bertrand Estrangin
Fondateur et Directeur de la Galerie Aboriginal Signature à Bruxelles

Œuvre de l’artiste Nonggirrnga Marawili. Titre : Gurtha. Pigments naturels sur écorce. Format : 111 x 61 cm. Ref : 1753-17. © Photo Aboriginal Signature Estrangin Gallery with the courtesy of the artist and Buku Arts.

Découvrez les peintures de l’exposition :