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Périple dans l'Australie secrète IV : le Kimberley Australien (2014)

Les constructions rocheuses tutélaires du Kimberley Australien. 2014. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin

Les constructions rocheuses tutélaires du Kimberley Australien. 2014. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin

Ce périple de 2000 km en camper van à travers le Kimberley Australien offre un grand sentiment de liberté. Je frise souvent les limites de l'assurance du véhicule en tentant des morceaux de pistes en terre et tôle ondulée.

Un endroit de rêve m'attendait ce soir au pied d'une gorge, mais j'ai été bloqué par le deuxième passage à gué trop profond. J'avais un doute assez sérieux sur sla profondeur de la rivière à traverser. En attendant des 4x4, et en observant le niveau d'eau sur leur carrosserie, j'ai finalement fait demi tour. Mon camper van se serait noyé au milieu des flots.

Changement d'itinéraire de nuit, avec une vigilance extrême pour éviter vaches, chevaux et kangaroos sur la route, vers la petite ville de Kununurra. Les animaux adorent la nuit tombée, venir boire l'eau qui suinte sur la route dans la période humide, ou manger l'herbe plus généreuse toute l'année. Les routes deviennent pour eux irrésistibles et terriblement dangereuses. Je crois bien avoir vu sur le bord depuis Broome, renversées, au moins 7 vaches et 13 kangaroos.

Cet après-midi j'ai renoué avec mon goût de l’observation des objets ancestraux comme au Sahara. En cherchant à lire le sol, je tente de ressentir les endroits où s’arrêtaient les nomades, où ils travaillaient une pierre avant hier ou il y a 50 000 ans.

Cheminer dans les herbes hautes représente un terrible danger en raison des serpents mortels. J'ai rencontré Peggy Patrick née en 1929, une artiste de Warmun qui est la seule à avoir survécu à 3 morsures de serpents, en entaillant sa chaire avec un couteau et en faisant pisser le sang.

De mon côté je suis à pied les ruisseaux asséchés bien découverts, soit je ne mets le pied uniquement là où je vois bien le sol sous les herbes. La progression est lente, même en suivant les traces des animaux. Mais quelle étonnante impression de cheminer ainsi dans le bush.

Depuis Broome je suis passé par 4 communautés et centres d'art aborigènes. Je suis resté 1 jour et demi dans celle de Mangkaja à deux pas du studio, à discuter avec Belinda et l'équipe qui l'anime. Dans la journée j'ai rencontré deux artistes dont j'ai collectionné les toiles il y a 16 ans, avant d’être galeriste.

Sonia Kurarra est une femme charismatique, généreuse de tempérament. Elle était un peu chahutée cependant en revenant de chez le dentiste. Ses toiles ont beaucoup de succès et lui donnent en retour un peu de sous, qu'elle doit selon les liens tribaux partager avec les siens. Mais elle adore aussi faire du shopping à Broome. Elle voulait d'ailleurs que je l'y conduise. Mon périple vers Darwin l'enthousiasmait beaucoup moins.

J'ai croisé également le grand Spider et Dolly Snell. Une artiste fabuleuse, très âgée, toute fine, me tenant le bras pour me parler, chaleureusement, même si nos échanges étaient assez limités, le créole anglais aborigène m'étant encore pas tout à fait accessible.

Bungle Bungle, Kimberley Australien. 2014 © Photo : Aboriginal Signature Estrangin

Bungle Bungle, Kimberley Australien. 2014 © Photo : Aboriginal Signature Estrangin

J'ai passé une journée dans les Bungles Bungles, prodigieux parc naturel découvert en 1980. Des collines poreuses stratifiées de couches de noir, rouge et jaune m'impressionnent et me permettent maintenant de mieux comprendre les œuvres de l'artiste Patrick Mung Mung.

Dans une gorge, profonde de 100 mètres, ancien lit compressé d'une rivière il y a 500 millions d'année, l'eau a creusé son sillon. Au plus profond, la lumière pénètre à peine. Tout est rouge de sang. En tendant les bras je touche les deux parois tellement c'est étroit et imagine la violence des flots durant la période humide. Des palmiers endémiques évoquent également ici les vestiges d'une époque plus humide il y a des milliers d'années.

Je suis ensuite arrivé à Warmun, où existe le centre d'art éponyme tout dédié aux pigments naturels. Les artistes ramassent les minéraux, jaunes, ocres, gris, noirs... Et les broient avec un grand mortier tout droit sorti de nos exemples du Moyen-Âge. Ils composent ensuite avec la poudre et des alliances, de magnifiques jeux de couleurs et des textures subtiles, qui orneront les toiles et y valoriseront les histoires du Temps du Rêve de leur communauté.

Carrière d’ocre dans les territoires Aborigènes. 2014. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin.

Carrière d’ocre dans les territoires Aborigènes. 2014. © Photo : Aboriginal Signature Estrangin.

Le manager du centre d'art est là depuis deux ans, après une carrière dans le bâtiment et des études artistiques. Il a dépassé les 50 ans et n'ayant plus à courir après son ego ou la reconnaissance, il envisage de commuer son titre en art advisor pour donner le maximum de place aux Aborigènes dans l’équipe de management.

Il a une superbe vision pour le centre d'art, aux frontières entre peinture, éducation, nouveaux média, invitation des plus jeunes et transmission de la connaissance. Cela me parle. Il apporte également volontairement un support social et donnent pas mal de coup de main comme affûter une hache, conduire des anciens… Pas de dimanche, ni de jours fériés quand il est dans la communautés. Ce n’est pas toujours facile.

Je passe trois jours dans la communauté et le centre d'art de Warmun. Il m'accueille dans une chambre, dont le bâtiment fut autrefois en 1920 l'unique maison et centre de poste du lieu. Partout sur les murs du salon figurent des œuvres historiques du centre d'art.

Dans l'entrée je reste passionné par les anciennes plaques de métal des pompes à essence de Warmun, peintes par les plus grands artistes dont Lena Nyabi qui est célébrée à travers le globe et à Paris. L’architecte Jean Nouvel a repris son œuvres dans deux endroits magistraux de l’architecture du Musée du Quai Branly Jacques Chirac : la façade en béton rue de l’université et une œuvre d’elle reproduite, sur 700 m2 du tout du musée. La plus grande œuvre d’art de Paris, visible du ciel et de la Tour Eiffel. Un must !

J'ai la chance de la rencontrer le lendemain et nous nous rendons en 4x4 dans une zone restreinte, uniquement accessible aux aborigènes ou à leur invités, à crocodile hole, où s'épanouissent également dans l'eau des poissons avec un long "museau ». Ce fut le lieu de l’ancien centre d’art de Jirrawun actuellement exposé à la galerie Aboriginal Signature à Bruxelles. Les Aborigènes m’accueillent en cet endroit en plongeant les mains dans l’eau pour les poser sur mon front, mon buste et mes genoux. Je suis un peu surpris au départ, puis ravi de cette introduction au territoire sacrée.

Je discute avec Lena Nyadbi, et lui dit combien ses deux œuvres qui figurent sur le toit et sur une façade du musée du quai Branly sont impressionnantes, que des millions de personnes voient ses peintures en montant en haut de la Tour Eiffel. Elle me dit être très heureuse de cela et contente que son art soit apprécié à travers le monde. Cette femme est un géant dans dans ce mouvement artistique.Dans le 4x4 la route est chaotique. Une dame très âgée est à l'arrière avec moi et prépare son matériel de pêche pour l'après midi, avec fil en nylon, hameçon très conséquent, et des plombs. Elle ouvre un sac et pas mal d'énormes cafards s'en échappent, vont sur ses jambes, pas loin des miennes, puis montent dans les sacs de provision achetées dans le magasin de la communauté un peu plus tôt. C'est un autre univers, c'est certain. Elle est charmante néanmoins même si elle s’amuse à me faire peur avec son couteau quand nous arrivons.

Dans le 4x4 la route est chaotique. Une dame très âgée est à l'arrière avec moi et prépare son matériel de pêche pour l'après midi, avec fil en nylon, hameçon très conséquent, et des plombs. Elle ouvre un sac et pas mal d'énormes cafards s'en échappent, vont sur ses jambes, pas loin des miennes, puis montent dans les sacs de provision achetées dans le magasin de la communauté un peu plus tôt. C'est un autre univers, c'est certain. Elle est charmante néanmoins même si elle s’amuse à me faire peur avec son couteau quand nous arrivons.

Un petit garçon de 5 ans, parlant fort bien anglais se régale devant moi d'une glace achetée au même endroit, puis de fraises, pour terminer par un beef pie dont il ne mange que la viande. Repas inversé. Il peint aussi au centre d'art et me demande si j'ai vu ses peintures. Elles sont intéressantes et offrent de belles perspectives. J'en ai pris une en souvenir de cet échange, et de sa fierté à me montrer qu'il sait compter jusqu'à 30. Quelle belle démarche de transmission du savoir à travers la peinture.

Dans la voiture se trouve également l'artiste Phyllis Thomas. Elle doit avoir 80 ans et peint de magnifiques toiles avec des pigments naturels tirant sur le gris, bleuté, l'ocre, le kaolin... On me l'a présente. Je la salue avec beaucoup de respect.

Termitières géantes dans le Kimberley Australien. Proche de Warmun. 2014 © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery

Termitières géantes dans le Kimberley Australien. Proche de Warmun. 2014 © Photo : Aboriginal Signature Estrangin gallery

Ces femmes sont assez incroyables. Artistes accomplies, elles vivent néanmoins dans la plus grande simplicité. Cette rencontre en 2014 me touche particulièrement aujourd'hui, Mrs P. Thomas nous ayant quitté fin 2018. Ses trois œuvres actuellement exposées à la galerie dans le cadre de l’exposition « Beyond the surface of the Dreaming » portent avec élégance et force sa mémoire.

Ce matin vers 6h en prenant mon thé, je m'assois à la place de l’artiste Rammey Ramsey, en terrasse dehors. C'est le WE ils ne travaillent pas. Je souffle sur la table pour enlever l'ocre résiduelle, et rédige ces quelques notes en songeant aux chefs d'oeuvres crées à cet endroit ici même. Des Kakatoés chantent, ou plutôt crient tout autour.

Il y a trois ans ce centre d'art a été dévasté par les flots hurlant de la plaine, l'eau dévalant vers le creux de la rivière. A l'endroit où je suis il y avait 3 mètres d'eau. Heureusement nous sommes dans la dry season. Un frigo perché dans un arbre témoigne encore de la violence des éléments. Il est 8h, je reprends la route ce matin.